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Jungle Cruise : Le safa-rire signé Walt Disney

Jungle Cruise : Le safa-rire signé Walt Disney

17 juillet 2021

Après plusieurs mois de transformation, la croisière s'amuse de nouveau à Disneyland et Walt Disney World sous une version réinventée ! L'occasion de remonter le cours de l'eau et de dévoiler la face cachée des chutes d'eau de Jungle Cruise...

Au commencement : les documentaires animaliers

Pour revenir aux origines, il faut remonter en 1947. Walt Disney cherche de nouveaux moyens de narrer des histoires de façon moins coûteuse que l’animation. Il faut dire que la Seconde Guerre Mondiale n’a pas épargné ses studios. Il est cependant primordial de continuer d’être à l’affiche pour rester dans les esprits des spectateurs.

Walt fait la connaissance des Milotte, propriétaires d’un magasin de photographie en Alaska. Il leur demande alors de filmer tout ce qu’ils peuvent trouver digne d’intérêt sur le territoire. En visite sur les îles Pribilof, les Milotte captent la migration annuelle des milliers de phoques venus ici se reproduire. Bingo ! Walt Disney jamais à court d’idées y voit là l’opportunité de se lancer dans un nouveau genre directement inspiré de Mère Nature.

Walt Disney dans son émission Disneyland – Episode « Cameras in Africa » (1954)

Après avoir passé de nombreuses heures dans la salle de montage, il en résulte un film de 27 minutes baptisé Seal Island (L’Ile aux Phoques). Comme à l’accoutumée face à l’innovation du producteur, le distributeur RKO se montre réticent à l’idée de projeter l’œuvre.  Walt n’en démord pas et convainc alors le Crown Theatre de Pasadena de le diffuser. C’est un triomphe ! L’année suivante, le film remporte l’Oscar du Meilleur Court-Métrage sur 2 Bobines. C’est le début des True Life Adventures.

Affiche de Seal Island et Logo des True-Life Adventures

La série se développe avec des titres comme La Vallée des Castors (1950), Le Seigneur de la Forêt (1951) ou encore Les Oiseaux Aquatiques (1952). Le format s’étend même en long-métrage avec le Désert Vivant sorti en 1953. De 1948 à 1960, la série rafle près de 8 Oscars et démontre une nouvelle fois le talent des Studios Disney dans l’art narratif. C’est ce succès qui inspirera bien plus tard la création de Disneynature dans les années 2000.

Les différents couples et partenaires missionnés autour du monde pour filmer les documentaires Disney

Mais bien avant cela, la série s’exporte sous forme… d’attraction ! En effet, au début des années 50, Walt (encore lui !) souhaite une nouvelle fois se lancer dans une autre entreprise : Disneyland. Et il compte bien sûr utiliser ses personnages connus du public pour vendre le concept. Si Dumbo et ses amis auront l’endroit tout trouvé dans Fantasyland, Walt réserve également à son bestiaire animalier une place de choix.

 

True Life Adventureland

Pour concrétiser son rêve, Walt Disney crée WED Entreprises, amené à devenir Walt Disney Imagineering, et recrute à tour de bras dans son studio.

Parmi eux, se trouve Harper Goff. C’est leur passion commune pour les trains miniatures qui fait se rencontrer les 2 hommes à Londres. Walt évoque rapidement un intérêt pour l’embaucher, ce qu’il fera à son retour. Goff se met alors au travail pour créer les storyboards d’un True-Life Adventure sur les baleines que Walt souhaite nommer « 20 000 Lieues sous les Mers ». L’idée évolue en une vraie adaptation du roman de Jules Verne sur la proposition de Goff qui se charge alors du design iconique du Nautilus. Au même moment, Walt le fait plancher sur son projet de « Mickey Mouse Park ». Harper Goff est ainsi l’un des premiers à créer les plans de ce qui deviendra Disneyland. Les designs de Goff seront particulièrement influents dans le produit fini en donnant notamment tout le charme de Main Street U.S.A. et l’exotisme d’Adventureland.

Concept art du quai d’embarquement de Jungle Cruise par Harper Goff

Lorsque Walt lui explique son idée de virée dans la jungle à la rencontre d’animaux sauvages, Goff lui propose de s’inspirer du film de 1951, The African Queen. Malgré sa sortie récente, l’œuvre est déjà très populaire à l’époque et met en vedette l’acteur Humphrey Bogart en tant que capitaine d’un bateau à vapeur persuadé par une missionnaire au caractère bien trempé (Katharine Hepburn) d’utiliser son embarcation pour attaquer un navire de guerre ennemi en Afrique. Goff visualise rapidement une croisière similaire à celle du film, embarquant les passagers dans un voyage où le péril les guette à chaque instant et avec pour seul guide, leur capitaine de navire.

Image tirée de The African Queen (à gauche) et concept-art du « Congo Queen » pour Jungle Cruise par Harper Goff (à droite)

 

Challenges et Défis Techniques

Après avoir consulté des spécialistes, Walt se rend vite compte de l’impossibilité d’avoir tout du long du parcours de vrais animaux. Les arguments sont nombreux : ils ne resteraient pas forcément dans les parties visibles du public, dormiraient la plupart du temps et n’apprécieraient pas forcément les bruits constants des visiteurs et des effets spéciaux envisagés par les concepteurs. Une vision bien éloignée du spectacle imaginé par l’Oncle Walt. La solution ? Installer des automates ! Mais plus facile à dire qu’à faire car les premiers imaginieurs sont bien vite confrontés au challenge de leurs mouvements réduits et de leur semi-immersion dans l’eau. Hippopotames, girafes et autres crocodiles programmés à l’aide de bandes magnétiques peuplent bien vite les ateliers.

Les Hippos issus du Model Shop de Disney

Sur le chantier, c’est un autre défi qu’il faut solutionner. Comment recréer une jungle réaliste en Californie en à peine un an ? Goff s’associe avec Bill Evans, le directeur paysagiste du parc. Le land d’abord envisagé à l’est du parc est finalement installé à l’ouest pour tirer avantage des eucalyptus déjà présents pour protéger les orangers du site. Ces mêmes orangers sont replantés à l’envers, racines vers le ciel, pour simuler une vie exotique tandis que les 2 compères arpentent les rues d’Anaheim à la recherche d’arbres matures contre rémunération. Enfin, des espèces végétales venues des 6 continents sont importées et installées le long des rives.

Bill Evans supervisant l’horticulture du Parc (circa 1954-1955)

Pour tester le parcours avant que la rivière ne soit remplie, Goff fait installer sur une jeep un faux bateau pour s’assurer de la bonne circulation des embarcations dans les virages. Une mise en scène que Walt reproduira pour son émission télévisée, toujours soucieux de montrer la bonne avancée de son rêve.

Dès l’ouverture, l’attraction remporte un franc succès auprès du public et devient rapidement une des emblèmes de la promesse d’évasion offerte par Disneyland.

Affiche United Airlines, sponsor de Disneyland (60’s)

Une bonne dose d’humour

Avec les années, le parc s’embellit. Comme le disait Walt Disney : « Je voulais quelque chose de vivant, quelque chose qui puisse grandir, quelque chose que je puisse continuer à enrichir d’idées, vous voyez ? Le parc est exactement ça. Non seulement je peux ajouter des choses, mais même les arbres vont continuer à pousser ; ça deviendra plus beau d’année en année.”

Et ce propos est plus que démontré du côté d’Adventureland où la jungle a véritablement pris place à Anaheim. Mais Walt, éternel insatisfait, continue de chercher des moyens d’améliorer son œuvre. En 1961, il détourne du studio un de ses animateurs stars, Marc Davis, pour le faire travailler sur le Parc.  Il lui donne alors pour mission de le visiter et de lui faire part de ses observations. Le résultat est pour lui sans appel : « Le parc a besoin de plus d’humour ! ». Walt écoute et le laisse alors lui faire ses suggestions.

Du dessin à la réalité, le quotidien de l’Imagineer Marc Davis

Il propose alors de nouvelles scènes à Jungle Cruise. Ses « gag sketchs » remplis de charme et de dérision sont pour la plupart traduits sans aucune modification en trois dimensions dans l’attraction. Le bain des joyeux éléphants profitant des cascades environnantes est ajouté en 1962, l’occasion de remplacer les vieux automates par de vrais Audio-Animatronics, technologie développée entretemps.

Concept Sketch par Marc Davis et le résultat final 

L‘ajout le plus mémorable reste incontestablement la prise en « otage » des malheureux aventuriers tentant de grimper la cime d’un tronc d’arbre pour échapper à un terrible rhinocéros. Originellement pensé pour être visible depuis le Disneyland Railroad en sorte de « publicité » pour l’attraction, Walt vit de suite le potentiel de cette idée. « Cela doit être mis dans l’attraction ! ». Ce sera donc chose faite en 1964.

Concept Sketch par Marc Davis et le résultat final 

Mais l’humour et l’insolence de Jungle Cruise doivent aussi énormément à un élément inattendu : les Skippers ! Ces Cast Members chargés de naviguer dans ces eaux troubles se sont appropriés le sens du timing comique et des blagues familiales. Oublié le ton sérieux d’un vrai safari tel que décrit dans le script initial de Winston Hibler, (narrateur et scénariste des True Life Adventures), place à l’improvisation ! Qui aurait pu prédire que ce changement serait à l’origine de tant de souvenirs et anecdotes pour de nombreux visiteurs qui gardent en mémoire l’enthousiasme contagieux de leurs hôtes navigateurs ? Un ingrédient de plus à ajouter au succès de l’attraction, prête désormais à conquérir de nouveaux fleuves…

 

Nouvelles Expéditions autour du monde

En 1971, la Jungle Cruise Navigation Co. Ltd. s’exporte en Floride avec l’ouverture du Magic Kingdom. Marc Davis en profite pour ajouter des nouvelles scènes allant d’un camp mis sans dessus dessous par une famille de gorilles (également ajouté par la suite en Californie) à un tigre montant la garde aux abords d’un temple cambodgien. C’est d’ailleurs ce temple qui abrite la différence majeure avec une scène finale en intérieure.

En 1983, Tokyo Disneyland inaugure également sa version sous forme de copie conforme du Jungle Cruise floridien à une exception près : les bateaux naviguent dans le sens des aiguilles d’une montre. (En 2014, Oriental Land Company rebaptisera l’attraction en Jungle Cruise: Wildlife Expeditions avec de nouveaux effets spéciaux, une musique inédite ainsi qu’un parcours nocturne repensé.)

Lors des premières ébauches de Disneyland Paris, les équipes discutent d’une potentielle version en France. Mais bien avant l’arrivée de Mickey sur nos contrées, la popularité de l’attraction avait déjà franchi l’Atlantique et inspiré de nombreux parcs concurrents : Bellewaerde, Europa Park, Nigloland… L’idée est tout simplement abandonnée.

En Californie, l’attraction originale continue de s’enrichir. En 1976, 7 nouvelles scènes et 31 figures importées de la version floridienne sont ajoutées.

Vue d’ensemble de Jungle Cruise à Disneyland au début des années 90 réalisée pour le magazine Disney News

Mais c’est en 1993 qu’un changement majeur s’opère. Pour anticiper la construction d’Indiana Jones Adventure non loin de là, le land est entièrement repensé. Cela donne naissance à un nouveau quai d’embarquement avec file d’attente sur 2 étages mais aussi l’abandon des auvents rayées. L’ambiance se veut plus mystérieuse pour coller à l’arrivée du célèbre archéologue. Fun Fact : les premiers concepts évoquaient le croisement entre les Jeeps d’Indy et les bateaux de la Jungle Cruise au cœur du temple maudit. L’idée séduisante est bien sûr abandonnée pour des raisons budgétaires.

Le nouveau quai d’embarquement (à gauche) et un concept-art ambitieux de la zone Indiana Jones (à droite)

Pour finir ce tour d’horizon, Hong Kong Disneyland dispose lui aussi de sa croisière, Jungle River Cruise pour être exact, sa spécificité résidant dans la scène finale faisant intervenir les Dieux de l’Eau et du Feu. Autant dire que les effets spéciaux sont de mises et profitent de la technologie alors existante en 2005. A noter également que pour pallier aux barrières de la langue, 3 files d’attente sont proposées aux visiteurs : Cantonais, Mandarin et Anglais.

Citons également la version Noël ingénieusement nommée Jingle Cruise lancée en 2013 à Disneyland et au Magic Kingdom. Chaque année, les skippers attendent avec ferveur les colis festifs préparés par leur famille pour les soigner du mal du pays. Mais le précieux cargo s’est accidentellement éparpillé dans toute la jungle pour le plus grand bonheur des animaux. L’occasion pour les navigateurs d’exercer de nouvelles blagues houx-leuses auprès de leur public !

Affiche de Jingle Cruise (à droite) et Trader Sam-ta qui profite de l’esprit festif (à droite)

 

Une Aventure réimaginée

Plus de 60 ans donc que la rivière change et évolue au fil des décennies. 2021 ne déroge pas à la règle avec la transformation la plus ambitieuse à ce jour de l’attraction iconique. Soucieux de rester dans l’ère du temps et de représenter au mieux la diversité et l’inclusion, les Parcs Disney ont entrepris un vaste chantier de mises à jour. Jungle Cruise, avec ses nombreux stéréotypes sur les tribus indigènes, voit donc l’arrivée d’une nouvelle storyline pour changer cela.

Alberta Falls est désormais l’heureuse propriétaire de la Jungle Navigation Co. Ltd, elle qui a grandi en voyageant autour du monde aux côté de sa mère, artiste en Inde, et son père, professeur anglais. Aujourd’hui, elle est fière de contribuer à l’héritage de son grand-père en accueillant botanistes, explorateurs et entomologistes du monde entier. L’excursion sera d’ailleurs l’occasion de découvrir ce qui est arrivé au dernier groupe de voyageurs, passagers du Kwango Kate (Mekong Maiden pour la version Disneyland).

Les noms de ces embarcations font référence à de vrais bateaux qui ont été en service dans l’attraction avant d’être subitement retirés à la fin des années 90 et au début des années 2000. Les clins d’œil méta ne s’arrêtent pas là puisque le concept abandonné de la plante cannibale de Marc Davis prend enfin vie et que l’illustre organisation fictive, la Society of Explorers and Adventurers (S.E.A) si chère à Imagineering, dispose d’une nouvelle membre en la personne d’Alberta.

Parmi les autres modifications, Trader Sam tire sa révérence (enfin presque). Fidèle à sa réputation de meilleur marchand de la jungle, Il a trouvé le moyen de transformer le nouvel emplacement des objets trouvés en quelque chose de plus rentable faisant de Jungle Cruise, une énième attraction se terminant par une boutique de souvenirs ! Un moyen subtil donc d’effacer le physique cliché du personnage tout en gardant sa présence spirituelle.

 

L’héritage de Jungle Cruise 

Les True Life Adventures n’ont pas seulement donné vie à Jungle Cruise. En 1961, Walt Disney réitère l’expérience en proposant à Frontierland une version améliorée de son petit train : Mine’s Train Through Wonderland. Le parcours réinventé avec des scènes inspirées des films The Olympic Elk et The Living Desert propose des Animatronics plus élaborés dans des décors naturels toujours aussi convaincants.

Mais ce n’est qu’en 1998 que la vision de Walt Disney se verra pleinement concrétisée avec l’ouverture du parc Disney’s Animal Kingdom et son Kilimandjaro Safaris. Ici, le public est invité à côtoyer au plus près les animaux de la savane sans que leur bien être ne soit remis en cause ou que l’immersion ne soit brisée. D’astucieuses techniques ont permis de cacher du regard les enclos et autres infrastructures de l’œil des passagers avec un parcours pensé pour couvrir tous les points de vue et assurer un maximum d’interactions.

Mine Train Through Wonderland (à gauche) et Kilimandjaro Safaris (à droite)

Jungle Cruise s’est aussi décliné en expérience culinaire ! Au Disneyland Hotel, Trader Sam’s Enchanted Tiki Bar accroit l’influence de l’ambiance exotique au delà des parcs depuis 2011. Le lieu propose de goûter à de délicieux breuvages entourés des artefacts et souvenirs des nombreux voyages du plus roublard des marchands.

Au Magic Kingdom, le restaurant Jungle Navigation Co. LTD Skipper Canteen propose une cuisine tropicale tout en prolongeant l’histoire de l’attraction au travers de 3 salles :

  • le Mess Hall datant de l’époque coloniale, et désordonné à l’image de l’équipage
  • la Jungle Room, ancien salon familial du Dr Albert Falls lui-même ;
  • la S.E.A. Room, ancien lieu de réunion secret de la Society of Explorers and Adventurers

Un univers qui continue de s’étendre avec la sortie du film éponyme mettant en vedette Emily Blunt et Dwayne Johnson. Le récit suit la Dr Lily Houghton, aventurière et scientifique, en quête du légendaire Arbre de la Vie. Pour le trouver, elle embarque avec elle Franck, capitaine d’un bateau à vapeur sur l’Amazone. Pour cette nouvelle aventure cinématographique inspirée des Parcs Disney, les équipes ont collaboré étroitement avec Walt Disney Imagineering pour glisser de nombreux clins d’œil liés à l’attraction, au land et à Disneyland. Il faudra donc peut-être plusieurs visionnages pour en découvrir tous les détails… à l’instar du ride.

Conclusion

Jungle Cruise fait indéniablement partie des attractions cultes au même titre que Pirates of the Caribbean, The Haunted Mansion ou it’s a small world… Empruntant l’image romantique des films d’aventures associée à un humour bon enfant, elle a marqué des générations entières empruntes d’aventures et de mystère. Si le parcours reste inchangé, l’immense talent des Skippers ont donné vie à une excursion qui semble à chaque fois nouvelle aux yeux des visiteurs. Un supplément d’âme que Jungle Cruise peut se targuer d’avoir comme atout. Souvent reproduite, jamais égalée. Et si finalement, c’était bien elle, la 8ème merveille du monde ?