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Enseigne du Transdemonium

Transdemonium : la chute de l’attraction incomprise du Parc Astérix

18 janvier 2020

Début 2019, les visiteurs du Parc Astérix ont eu la surprise de trouver les portes du célèbre train fantôme fermées. Le mystère est resté entier pendant plusieurs mois, mais il a fallu se rendre à l’évidence : le Transdemonium a été démonté et ne rouvrira jamais, après quinze ans d’une existence fantasmagorique. Pour rendre un dernier hommage à cette attraction, redécouvrons l’épopée du train fantôme mythique du Parc Astérix à travers ses particularités uniques et sa conception artistique plus sophistiquée qu’il n’y paraît.

La deuxième apocalypse

Pour son ouverture en 1989, le Parc Astérix disposait déjà d’une attraction hantée nommée L’Apocalypse. Son accès se faisait par la bouche de la créature qui est devenue ensuite la sortie du Transdemonium, et son thème était celui de la fin du monde que beaucoup redoutaient à l’approche de l’an mille, au Moyen Âge. Cependant, pour des raisons de sécurité incendie, cette attraction a dû très rapidement fermer et être démontée.

Le temps passe sans que le parc n’ait d’attraction dans sa zone médiévale, jusqu’au début des années 2000 où il est décidé de concevoir un nouveau train fantôme, plus ambitieux cette fois-ci. Le thème du Transdemonium reprend celui des peurs de l’an mille déjà exploité dans l’attraction précédente, mais une nouvelle idée est mise en place. En effet, Jean-Marc Toussaint, responsable artistique et technique de l’attraction, invente tout un synopsis : la baronne de Plailly mandate l’alchimiste Jehan de Ténèbres pour qu’il trouve un moyen d’éviter l’apocalypse de l’an mille. De ce fait, celui-ci invente le Transdemonium, un Système Nocturne de Chariots Fantômes parcourant les cryptes dans lesquelles sont accueillis spectres, fantômes et esprits. Ces derniers sont alors occupés à effrayer les passagers du train fantôme plutôt que de déferler leurs sortilèges sur le monde.

Pour guider les courageux visiteurs désirant découvrir ce sombre parcours, Jehan de Ténèbres missionne Mario Passinette, un sympathique bouffon-marionnette.

Dans la version initiale de l’attraction, les visiteurs rencontrent au cours de leur excursion diverses créatures à l’allure gothique. La première partie du parcours est principalement agrémentée d’effets de surprise semblables à ce qu’on peut trouver dans les trains fantômes classiques de foire, mais plus le train progresse sur le parcours, plus l’ambiance devient torpide. La bande sonore est de plus en plus tumultueuse et davantage d’effets de spectres encerclent les visiteurs. Ce changement d’atmosphère semble être provoqué par un fantôme muni de ciseaux dont on peut voir la silhouette coupant les fils de Mario. Le personnage abandonne alors sa complaisance forcée pour, à la fin du parcours, faire dépasser aux visiteurs les limites de ce qu’ils étaient supposés endurer en propulsant leur chariot dans une chute soudaine. Cela se produit au moment où ceux-ci peuvent croire qu’ils sont de retour en gare, puisque cette dernière scène reproduit l’embarquement de l’attraction, en plus lugubre. Malgré cette surprise, les passagers trouveront tout de même le chemin de la sortie. Ils y découvriront tout de même Mario emprisonné, certainement à cause de son comportement abusif.

Un pari artistique

Les visiteurs attentifs auront compris que le récit du Transdemonium le décrit lui-même comme un train fantôme. Ainsi, le fait qu’il faille embarquer dans un véhicule pour le visiter est justifié par l’histoire, ce qui est rarement le cas dans ce type d’attraction (par exemple, l’utilisation de doombuggies pour visiter Phantom Manor à Disneyland Paris n’est pas motivée par la narration).

Le Transdemonium est donc un train fantôme sur le thème d’un train fantôme, le tout inscrit dans le Moyen Âge, ce qui implique que la machinerie qui l’aurait fait fonctionner à cette époque aurait été rudimentaire. Les créateurs de l’attraction ont pensé à cela en installant des décors représentant des rouages entraînant le train aux deux moments où celui-ci gravit une côte. C’est même, au premier d’entre eux, Mario qui entraîne le mécanisme à l’aide d’une manivelle.

On peut également trouver dans ce thème une justification de l’utilisation de nombreux décors composés de créatures stéréotypées, de planches de bois peintes, et les effets de surprise typiques de trains fantômes de foire, parfois un peu ridicules. Ces éléments sont souvent repris dans les critiques sur la qualité de l’attraction, mais semblent avoir été voulus par les créateurs originaux. Le Transdemonium ne se veut donc pas effrayant mais plutôt amusant, en utilisant une mise en abyme tournant en dérision les trains fantômes classiques. Cela correspond parfaitement à l’esprit que véhicule le Parc Astérix dans la plupart des activités qu’il propose.

Comme en témoignent des avis de visiteurs de l’époque, l’attraction fait donc plutôt le pari de l’ambiance générale que celui de l’effroi direct, en mêlant parodie et descente aux enfers de Mario provoquée par sa libération.

Malheureusement, la majorité des visiteurs semble passer à côté de ce thème, et les commentaires tels que « c’est nul, ça fait pas peur » sont courants, l’attraction ne proposant pas vraiment l’effroi auquel le public s’attendait. Malgré les deux plaques explicatives dans la file d’attente et le dialogue entre les protagonistes de l’histoire qui peut être entendu dans les couloirs, le storytelling ne semble jamais avoir vraiment fonctionné. Le pari artistique visant à proposer une histoire unique plutôt qu’une simple visite d’un lieu hanté a donc été condamné à être incompris.

Le train fantôme dernier cri

À son ouverture en 2003, le Transdemonium jouait également la carte de la modernité avec son système de transport unique au monde construit par l’entreprise britannique WGH transportation. Les treize trains sont équipés de moteurs embarqués entraînant une roue dentée permettant de sillonner le parcours le long d’une crémaillère. Chaque train est également doté de deux automates chargés de réguler sa vitesse et d’effectuer divers contrôles de sécurité en communiquant avec les autres véhicules et en calculant sa position sur le parcours. Ce système permet aux trains d’avoir une vitesse variable sur le parcours et donc de créer des effets de surprise en accélérant ou freinant brusquement. Par exemple, le final de l’attraction est une descente dans laquelle les trains se lançaient subitement à 21 km/h. Une vitesse élevée pouvait même être atteinte dans les virages non inclinés, ce qui créait par moments une sensation semblable à ce qu’on peut trouver dans les coasters de type Wild Mouse.

Toutefois, ce système était un prototype et présentait quelques défauts faisant grimper les coûts de maintenance de l’attraction, notamment au niveau des roues dentées et de la crémaillère. Il s’agit de la principale raison pour laquelle la vitesse des trains a été grandement réduite en 2009, faisant perdre à l’expérience la nervosité qui faisait son originalité. La durée du trajet était en 2003 d’environ trois minutes, contre cinq en 2018.

WGH transportation, qui a aujourd’hui mis la clé sous la porte, n’a produit ce système pour aucun autre parc. Ce prototype ne semble donc pas avoir eu un si bon fonctionnement que prévu, malgré des idées intéressantes.

Le déclin

En plus d’avoir fait perdre ses sensations à l’attraction, le ralentissement de la vitesse des trains a permis aux visiteurs de s’attarder plus longuement sur les décors, alors que ceux-ci n’étaient probablement pas pensés pour être vus longtemps. Les effets de surprise sont aussi devenus bien moins efficaces. Les critiques au sujet de la qualité des décors et du fait que l’attraction n’est pas effrayante n’ont alors pas cessé de s’amplifier, l’histoire n’étant toujours pas claire pour de nombreux visiteurs.

Pour tenter de diminuer ces problèmes, des changements ont été effectués aux décors, avec l’ajout et le remplacement de certains éléments. Cependant, ces modifications ont souvent éloigné l’attraction de son thème original et se sont plutôt révélées être faites sans vraie réflexion sur la cohérence de l’ensemble. Par exemple, on a ainsi vu apparaître une scène représentant un humain ensanglanté avec une scie circulaire menaçant son visage, alors que le scénario du Transdemonium n’indique à aucun moment que des humains devraient y être torturés, car ceux-ci sont seulement supposés servir de divertissement aux créatures à travers une simple visite de leur domaine. Le but de Jehan de Ténèbres est d’ailleurs de protéger les humains contre l’apocalypse. Ce genre de nouveau décor est uniquement dérangeant et ne correspond pas à l’atmosphère comique voulue originellement, comme si le Transdemonium devenait le train fantôme de foire qu’il essayait lui-même de tourner en dérision.

En plus de cela, certains éléments scénographiques se sont dégradés au fil des années sans vraiment être rénovés, les amenant même parfois à disparaître. Par exemple, durant les premières années, le parcours était ponctué de fausses planches qui bloquaient le passage du train et qui s’enroulaient subitement vers le haut au dernier moment, le tout en synchronisation avec une accélération du véhicule, ce qui créait un effet surprenant. Malheureusement, bien que le mécanisme ait toujours été présent, cet effet ne fonctionnait plus depuis des années. En outre, d’autres décors étaient toujours présents mais simplement non éclairés, laissant d’inexorables vides.

Rapidement, des pistes plus radicales ont aussi été explorées pour redynamiser l’attraction, comme un projet de transformation en attraction interactive en orientant le thème sur les vikings en 2009.

La fin d’une époque ?

Le Transdemonium a donc été une création ambitieuse et originale du Parc Astérix qui n’a pas su trouver son public. Un scénario et des choix artistiques pas suffisamment accessibles ont déçu les visiteurs qui s’attendaient à une attraction effrayante. Ces inconvénients n’ont pas été aidés par une expérience dégradée au fil des années par des modifications désinvoltes et la contrainte du système de transport difficile à maintenir. Peut-être que l’intention artistique de l’attraction n’a pas été bien transmise des équipes créatives aux équipes opérationnelles qui se sont succédées pendant ces quinze années, alors qu’une relation de confiance est importante pour maintenir la qualité de l’expérience voulue initialement.

On pourra regretter le manque de tentatives d’amélioration du storytelling qui auraient pu montrer au plus grand nombre l’intérêt de l’attraction, comme cela a été fait dans Phantom Manor à Disneyland Paris.

On pourra regretter également le manque de désir de conserver l’attraction dans un état optimal tout au long de son existence.

On pourra regretter aussi la fermeture définitive de l’attraction dans le silence le plus total, alors que le parc avait déjà été critiqué pour cela lors de la découverte de l’arrêt en 2019 de son mythique spectacle Main basse sur la Joconde, et que des exemples comme la fermeture d’Armageddon : Les Effets Spéciaux au Parc Walt Disney Studios a montré qu’une attraction peu populaire pouvait tout à fait bénéficier d’une dernière célébration pour permettre au public d’en profiter une ultime fois.

Depuis la saison 2019 de Peur sur le Parc, les visiteurs, peuvent néanmoins retrouver dans le parc quelques uns des décors de l’attraction, comme à son entrée fermée, près du Restaurant du Lac, ou encore dans la dernière scène de la nouvelle maison hantée Catacombes.

L’ouverture du Transdemonium s’inscrivait dans l’époque où le Parc Astérix cherchait à se démarquer en pariant sur des concepts uniques ou plus ambitieux que les installations existant ailleurs. C’est ainsi que sont apparus Main basse sur la Joconde, L’Oxygénarium, la Trace du Hourra, ou encore le Défi de César. On peut aujourd’hui s’interroger sur l’apparition de nouveaux projets audacieux qui, bien exécutés, confirmeraient l’identité singulière du Parc Astérix et le différencieraient de ses concurrents européens, à l’heure où il tente de conquérir le public étranger probablement déjà habitué aux grands parcs du continent.

En attendant sa destruction probable lors de la disparition complète de la Rue de Paris, le bâtiment vidé accueille l’hiver un espace de glisse, avec patinoire et pistes de luge. La grande salle du puits de la file d’attente a, quant à elle, été conservée et s’est révélée être le décor parfait pour le bar clandestin du Sanglier Borgne, une des nouveautés 2023 de Peur sur le Parc.

Après quinze ans de visites rocambolesques, l’invention de Jehan de Ténèbres a donc cessé d’accueillir ses courageux visiteurs. Espérons que l’ennui ne gagnera pas les esprits qu’elle renferme pour que le Parc Astérix ne soit pas plongé dans la redoutée apocalypse.

Tours amoureuses au Parc Astérix

Source des images d’archive et concepts : TransDemonium – making of (YouTube)